1 - Broderie populaire espagnole, utilisée sur les costumes. Cette manche de corsage date du XIXème siècle
2 - Dentelle d'or à l'aiguille de Valladolid, copie d'une dentelle du XVIème siècle

L'art textile en Espagne

L’histoire textile de l’Espagne est marquée par deux caractéristiques essentielles : d’une part, le poids de l’influence musulmane, due à huit siècles de présence arabe sur le territoire ibérique ; d’autre part, l’utilisation des métaux précieux fournis en abondance par les colonies américaines.

Les étoffes tissées – Selon le témoignage des auteurs latins, la production espagnole de tissus de laine et de lin remonte à l’Antiquité romaine. A partir de l’invasion arabe en 711, vint s’y ajouter la fabrication de la soie, particulièrement à Cordoue, où la première manufacture fut fondée en 882. Pendant la période de l’émirat de Cordoue (758-976), l’usage des soieries, appelées « tiraz », était réservé à la cour.

Les étoffes qui sont parvenues jusqu’à nous datent de la période suivante, celle du califat de Cordoue (976-1031) ; la plus ancienne, le voile de Hixem II, est tissée de soie et d’or. Quelques beaux samits dénotent une forte influence sassanide et byzantine, comme la nappe de Santa Maria de l’Estanys et l’étoffe appelée le « baldaquin des sorcières ». Il nous reste aussi des toiles de soie du XIIème siècle brochées d’or, dont les plus remarquables sont celles de l’Eglise de San Pedro de Osma.

Au XIIIème siècle, les tissus présentaient des décors aux petits motifs géométriques ou étoilés, inspirés par les Almohades, secte musulmane venant d’Afrique du Nord, qui avaient envahi le sud de l’Espagne vers 1150. Le costume de l’infant Don Felipe, retrouvé dans sa tombe, date de cette époque ainsi que la chasuble de saint Valeri, décorée d’entrelacs appliqués au style typiquement arabe. Aux XIVème et XVème siècles, le royaume de Grenade était le dernier Etat musulman de la péninsule ibérique. On y réalisa les célèbres soieries nazari de style Alhambra, tissées en lampas et ornées de motifs géométriques. La chute de Grenade, en 1492, marque la fin de la production des textiles hispano-arabes.

Au XVème siècle, la maison royale d’Aragon et de Catalogne ouvrit des ateliers de soieries destinés à imiter les célèbres velours italiens, tandis que Tolède devint le principal centre du travail de la soie en Castille. Peu à peu, l’influence française se fit sentir dans le style et la technique des soieries espagnoles. Lorsque Philippe III parvint, en 1609, à bannie d’Espagne toute la population mauresque, il donna le coup de grâce à cette industrie qui était principalement dominée par les Maures ; au XVIIIème siècle, les Bourbons tentèrent de la faire revivre à Valence. A la même époque, on fabriquait à Tolède des soieries à caractère sacré, dont les plus célèbres sont les chasubles de Nicolas Molero.

Dans les régions chrétiennes, on confectionnait dès le XIIIème siècle des étoffes à chaîne de laine et trame de soie suivant la technique du samit. A partir de cette époque, la production de laine connut un important développement avec les centres de Béjar, d’Alcoy et, surtout, de Catalogne. Les « peraires » (cardeurs, peigneurs) catalans formaient des corporations influentes dans cette région où l’industrie lainière était très fortement implantée.

C’est au XVIIIème siècle que débuta l’industrie cotonnière catalane. La première manufacture d’indiennes fut fondée en 1738. Ces cotonnades imprimées firent partie des principaux produits industriels de cette région jusqu’au début du XIXème siècle. Durant tout le XIXème siècle et plus de la moitié du XXème, toute la production textile espagnole, cotonnière et lainière, se concentra en Catalogne, qui fut en outre le centre de la confection d’articles tricotés. Barcelone était le principal foyer industriel espagnol : le métier jacquard y fut introduit durant le premier tiers du XIXème siècle et la première machine à vapeur, coup d’envoi de la révolution industrielle, y fut installée en 1830.

La tapisserie – La production de tapisserie de haute lisse date de l’époque mauresque, mais, malheureusement, aucune pièce hispano-arabe n’est parvenue jusqu’à nous. Des manuscrits médiévaux témoignent de l’importance de cette industrie en Catalogne, surtout au XVème siècle. Au siècle suivant, les principaux ateliers étaient situés à Barcelone : on y confectionna, entre autres, les célèbres tapisseries de la cathédrale de Gérone. D’autres centres se créèrent au XVIIème siècle dans les villes de Salamanque et de Madrid. C’est Philippe V, premier Bourbon d’Espagne, qui fonda en 1720 la Manufacture royale de Madrid où les tapissiers travaillaient sur des cartons d’Anton Raphael Mengs (1728-1779), de Francisco Bayeu (1734-1805) et de Francisco de Goya (1746-1828). Depuis 1850 environ, l’école catalane de tapisserie a atteint un renom international grâce à des artistes qui privilégient l’expérimentation, tels que Josep Grau-Garriga, Maria Assympció Raventós et Aurelia Muñoz.

La broderie – Cet art fut employé surtout pour les costumes de la cour et de l’Eglise. Des sources manuscrites témoignent de l’existence d’une broderie hispano-arabe dont quelques exemples ont pu être conservés. En Espagne chrétienne, on produisait, dès l’époque romane, des ouvrages de grande qualité, particulièrement dans les couvents. La « Tapisserie de la Création », qui date du XIIème siècle et se trouve au Musée ecclésiastique de Gérone, est la plus ancienne pièce de taille importante qui nous soit parvenue.

Au XIVème siècle, certains ateliers de couvent passèrent en mais profanes. Les textiles liturgiques de style gothique représentent de petites scènes encadrées d’arcatures. D’inspiration italienne, l’antependium de Gérone, qui figure la naissance du Christ, est une œuvre essentielle pour cette époque. Au XVème siècle, de nouveaux ateliers furent fondés, entre autres à Tolède, Séville et dans le célèbre couvent de Guadalupe. Au siècle suivant, leurs œuvres subirent l’influence croissante de la Renaissance italienne, avant d’adopter l’ornementation florale, parfois excessive, de la période baroque.

Au cours du XVIIIème siècle, la broderie s’appliqua de plus en plus aux objets profanes et aux articles de mode, tendance qui se renforça au cours du siècle suivant quand l’art des brodeurs passa aux mains des femmes. Les nonnes des couvents ornèrent alors aussi bien des robes de mariée que des linges d’église. Au XXème siècle, on a assisté, dans la haute couture, à un retour aux productions de luxe incrustées de pierres précieuses.

Les fondements de la broderie populaire espagnole, enfin, sont à chercher dans les ouvrages dits mudéjar, nom donné, aux XVème et XVIème siècles, aux musulmans restés dans les régions reconquises par les chrétiens. Les principaux centres de fabrication de ces ouvrages sont Salamanque, Zamora, Avila, Cáceres, Valence, Majorque et enfin Tolède et sa région, particulièrement le village de Lagartera, célèbre pour ses charmantes broderies.

La dentelle – La production dentellière espagnole date du XVIème siècle. Ces dentelles avaient la particularité d’utiliser l’or et l’argent à profusion, mêlés parfois à la soie colorée. Elles étaient très prisées en Europe pour leurs splendides arabesques. La dentelle de Valladolid était une variante particulièrement riche de dentelle d’Espagne. La filigrane, elle, était entièrement métallique. Pour la dentelle aux fuseaux, la soie et le lin remplaçaient couramment le métal surtout pour les pièces ecclésiastiques.

Les dentelles à l’aiguille en lin, remarquables pour leur grande finesse, étaient également très en vogue aux XVIème et XVIIème siècles. Dans cette catégorie, la plus célèbre était la dentelle catalane, sorte de broderie à fonds ajourés ornée de rosaces. La « Sol » de Salamanque, plus simple, ressemble à la version catalane par sa technique. Pour la dentelle dite de Ténériffe, les mêmes motifs circulaires étaient exécutés d’après un dessin posé sur un coussin. Ces deux dernières techniques ont été introduites par les missionnaires en Amérique donnant naissance aux nanduti et aux jours mexicains.

Les rois de la dynastie des Habsbourg n’encouragèrent nullement la production de dentelle en Espagne. A partir du règne de Philippe II, ils en interdirent même l’utilisation et la confection. Les Bourbons du XVIIIème siècle, en revanche, essayèrent de faire revivre cette industrie mais, les motifs originaux ayant entre-temps disparu, le style espagnol fut supplanté par le dessin et la technique français. Le principal centre dentellier était la Catalogne, où l’on confectionnait sur de longs métiers des dentelles de soie aux fuseaux, de couleur blanche, noire ou écrue. Au XIXème siècle, ces blondes catalanes étaient, avec les imitations de Chantilly fabriquées en Espagne, parmi les dentelles les plus demandées en Europe. On les utilisait, entre autres, pour la confection des mantilles, cet accessoire typique du costume espagnol féminin. Elles seront cependant évincées par les broderies sur tulle, moins coûteuses, fabriquées principalement à Grenade et en Catalogne.

Après l’introduction du métier mécanique pour la confection de dentelles, les ouvrages à la main devinrent de rares objets de luxe. De nos jours, on fait encore des dentelles à l’aiguille à Ténériffe et des pièces aux fuseaux à Almagro, à Camariñas, le long de la côte catalane et dans la ville de Barcelone.

Les tapis – Il est généralement admis que l’art du tapis fut introduit en Espagne par les Maures. La principale caractéristique de ces ouvrages, souvent en laine, était l’emploi du nœud espagnol (ou hispano-arabe). De nombreux documents décrivent la beauté des tapis hispano-arabes, dont nous n’avons conservé qu’un seul exemplaire : il date de la période nazari (XIVème-XVème siècles) et se trouve aujourd’hui dans le Musée archéologique de Grenade.

Alcazar fut un centre important de fabrication de tapis, du Moyen Age au XVIIème siècle. Les motifs de ces pièces sont islamiques ou, pour le moins, influencés par la tradition musulmane. L’apogée de cette production se situe au XVème siècle, époque à laquelle furent créés des tapis ornés de motifs floraux, certains représentant les armes des amiraux castillans et d’autres s’apparentant au genre Holbein. Un autre centre de production de tapis, important à partir du XVIIème siècle, fut celui de Cuenca, dont les ouvrages s’inspirent de la Perse et de la Turquie. L’introduction du métier jacquard, au siècle dernier, eut pour conséquence, dans ce domaine comme ailleurs, le déclin et la fin de cet artisanat.

Source : « Autour du fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogdtal, Paris, 1990, volume 9.


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