Fauteuil sculpté et doré avec une garniture de soie damassée rouge cramoisi, France, 1760 environ.

Le Damas

Tissu façonné qui, dans sa forme classique, se compose d’un effet de fond et d’un effet de dessin, c’est-à-dire d’un aspect brillant et d’un aspect mat, constitués par la face chaîne et la face trame d’une même armure satin. Certains damas sont tissés avec deux armures différentes et leur décor est complété par des trames lancées ou brochées. Le damas bicolore a une chaîne et une trame de couleur différente alors que le damas rayé présente une chaîne ourdie avec divers coloris. Ces effets d’armure sont généralement obtenus en utilisant un fil brillant à forte tension : c’est pourquoi on a longtemps préféré la soie pour cet usage. Mais dans les pays de l’Europe septentrionale, le lin, lui aussi brillant et fin, occupa rapidement une place importante dans le tissage du damas, particulièrement celui destiné au linge de table. Dans ces mêmes pays, la laine remplaça également la soie, en particulier la laine peignée anglaise, pour la fabrication de certaines étoffes damassées destinées à l’habillement et à la décoration.

Les premiers damas proviennent du Moyen-Orient, probablement de Perse, et datent du IVème au VIème siècle. Certaines étoffes de soie chinoises dites « Han », monochromes et décorées de figures tissées, qui arrivaient en Occident par la Route de la soie, se rapprochent des dams, sans en être véritablement. En revanche, les archéologues ont retrouvé des textiles tissés en Chine décorés de motifs perses de la dynastie sassanide (entre 226 et 651) et dont la facture représente une étape décisive dans le développement de la technique de ce célèbre tissu.

C’est en Italie, pays d’Europe le plus avancé sur le plan culturel au Moyen Age, que l’industrie européenne de la soie se développa et que fut créée, au XVème siècle, la technique du véritable damas. Son apparition eut une influence considérable sur la création des nouveaux motifs qui allaient s’imposer pendant la Renaissance. Parmi les plus importants, celui de la grenade allait connaître dans de nombreux pays un succès d’une durée tout à fait inhabituelle. C’est une figure aux contours nets, bien adaptée à la fois au tissage damassé et à celui d’une autre grande nouveauté de l’époque, le velours, ces deux étoffes étant employées aussi bien pour les vêtements que pour la décoration intérieure. On retrouve des variantes du motif de la grenade sur les tissus d’ameublement du XVIIIème siècle et jusqu’en 1900, lorsque l’Anglais William Morris composa sur métier jacquard des damas de soie à l’italienne pour un prix de revient raisonnable.

En Europe du Nord, les costumes et la décoration en damassé de laine remplacent, chez les paysans riches et les bourgeois, les damas de soie au prix trop élevé. Au XVIIIème siècle, les motifs les plus courants sont les rayures, les fleurs et les feuillages, ainsi que des figures géométriques variées. Les couleurs sont saturées, vert bouteille, cramoisi, jaune ocre et noir.

Les damassés de lin, presque exclusivement utilisés pour le linge de table, furent considérés comme des articles de luxe dans l’Europe du XVIème siècle et se répandirent de plus en plus au cours des siècles suivants. Dès leur apparition, on situe les fabriques les plus importantes en Flandre, où la production du lin et le développement des entreprises de tissage ont toujours été florissants. La technique du damas, uniquement appliquée aux étoffes de soie dans les pays de l’Europe du Sud, est ici combinée au lin, matériau néerlandais par excellence. Cette association s’explique mieux encore quand on connaît l’importance de la ville de Bruges, port d’arrivée des soieries italiennes et véritable plaque tournante du commerce.

En 1496, la ville de Courtrai, en Brabant, voit s’établir une des premières manufactures de lin uniquement destinée à la fabrication de linge de maison. Les décors les plus courants de ce temps étaient copiés sur les étoffes de soie : grenades, médaillons et palmettes. Très tôt, s’y ajoutent armoiries et devises, en particulier sur le linge des cours princières. Les plus anciennes pièces connues ont été exécutées pour Henry VII d’Angleterre (1485-1509). On connaît aussi le linge de table de la cour de Christian IV du Danemark, probablement l’œuvre du tisserand hollandais Passquier Lamertijn, spécialiste du damas appelé en 1619 à la cour du roi scandinave.

Pendant le XVIIème siècle, c’est à Haarlem, en Hollande, que se trouvait la plus importante manufacture de damas d’Europe. Les motifs de tissage étaient extraordinairement variés : scènes bibliques et mythologiques, scènes de chasse et de batailles avec trophées mentionnant le nom des victoires et des héros, décors représentant des accessoires de table, couverts, etc. Les services de table damassés de Haarlem étaient vendus à une vaste clientèle de familles aisées.

Au cours des guerres de religion et après la révocation de l’édit de Nantes qui garantissait la liberté de religion des protestants, de nombreux tisserands vont chercher à s’installer hors de leur pays. Les réfugiés flamands fondent de nouvelles manufactures de damas, avec plus ou moins de bonheur. Dans le Schleswig, au nord de l’Allemagne, la présence des tisserands hollandais a laissé des traces visibles dans la tradition locale de tissage, en particulier le beiderwand de laine et de lin, dont les motifs sont inspirés de ceux du damassé hollandais. L’industrie irlandaise, de taille à concurrencer les établissements belges et hollandais, fut fondée par l’émigrant picard Louis Crommelin en 1698. Plus importantes encore pour le commerce européen, les manufactures de Saxe et de Silésie furent particulièrement productives, l’industrie du lin et des étoffes de fil ayant prospéré dans ces régions depuis des siècles. Là aussi, on retrouve une parenté avec les motifs hollandais, bien que la forme en soit plus populaire.

A partir du XVIIIème siècle, l’énorme production de linge de table, sous l’influence artistique d’excellents dessinateurs, fournit non seulement la cour princière de Dresde, mais aussi les autres cours allemandes et étrangères, ainsi qu’une partie de plus en plus importante de la bourgeoisie européenne. Toujours en vogue, les armoiries partagent désormais le décor avec une floraison baroque d’une grande variété, ornant élégamment la table entre les candélabres et la vaisselle d’argent.

A l’époque de Louis XV, le style rococo s’adapte aux habitudes nouvelles ; on sert le café et le chocolat sur des tables légères, recouvertes de petites nappes. Sur les serviettes du service à café, souvent tissées en soie ou en lin de couleur, se déploient de riants décors : scènes de la vie bourgeoise, textes satiriques, paysages.

L’invention de la technique du jacquard est d’une importance considérable pour la diffusion des étoffes damassées. A partir de 1830, les métiers jacquard s’implantent dans toutes les fabriques d’Europe, élargissant considérablement la clientèle. Le coût des étoffes baisse encore davantage après l’introduction du coton comme fil de chaîne. D’un prix moins élevé, cette matière offre en outre une résistance à la traction supérieure à celle du lin. En même temps, des éditeurs allemands diffusent des séries de motifs de damas sur papier quadrillé ; à partir de cette époque, les motifs seront généralement stéréotypés et souvent sans intérêt.

Au XXème siècle, avec la multiplication des progrès techniques, les étoffes damassées, à portée de toutes les bourses, perdent peu à peu leur valeur aux yeux du public. D’un nettoyage et d’un repassage fastidieux, le trousseau de lin, orgueil de la maîtresse de maison d’autrefois, ne représente plus qu’une entrave à la liberté de la femme moderne. Cependant, on constate, au cours des dernières années, un regain d’intérêt des créateurs de mode et de linge de maison pour ces étoffes aux dessins complexes.

Source : Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles, Editions Bonnier, Paris, 1989, volume 8


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